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Mohammed Arkoun

à la mémoire de Mohammed ARKOUN

Témoignage de Jean Daniel

Publié le 13 Octobre 2010 par Jean Daniel in Hommages

 

Pour saluer Arkoun

 

Nouvel Obs.com    22/09/2010   Jean Daniel

Je souhaite ici donner le témoignage de notre dette considérable à l'égard d'une personnalité comme Mohammed Arkoun, professeur émérite à la Sorbonne, qui est mort mardi dernier alors que nous nous attendions à le recevoir cette semaine. Nous ne pleurons pas seulement la disparition d'un ami ni d'un éminent universitaire, ni du citoyen du monde qui entendait intégrer la mémoire de la Shoah dans le patrimoine de l'humanité. Nous n'oserons pas non plus nous attarder sur ses recherches en « islamologie appliquée ». Laissons  ce soin à d'autres amis ou chercheurs plus compétents que nous en ce domaine. Mais ce Français musulman et kabyle, né en 1928 à Taourirt-Mimoun, en Algérie, demeuré fidèle à sa patrie d'origine, a représenté dans l'ardente continuité de ses recherches et la densité contagieuse de son enseignement, l'illustration la plus roborative de ce que peut devenir un réformisme musulman (ou un islam réformé) lorsqu'il accepte sans complexe et même avec un sentiment de réappropriation la fécondité des Lumières.


La dernière fois que je l'ai entendu discourir, c'était à l'ambassade du Qatar où il recevait une distinction dont il a fait un prétexte et même un défi. Orné de cette crinière demeurée abondante et blanche, doué de ce timbre de voix qui fait les prédicateurs, mais aussi de cette ironie qui prive les sermons de leur fatuité habituelle, il s'indignait à l'idée que les penseurs et les étudiants musulmans, où  qu'ils se trouvent, pussent ignorer tout ce que la raison critique refondée dans le XVIIIème° siècle français pouvait apporter à la gloire spirituelle et intellectuelle du message islamique. Et son impatience était telle que c'est avec un ton imprécatoire que Mohammed Arkoun rappelait les sources islamiques du cheminement vers les Lumières. J'avais eu jadis son accord à la thèse dont je m'étais fait l'écho et selon laquelle, à Cordoue, grâce aux traductions en arabe d'Aristote, les penseurs juifs comme Maïmonide et surtout musulmans comme Averroès avaient ébranlé les dogmes de la pensée théologique et ouvert la voie vers les Lumières et d'abord vers la philosophie allemande. Je me ralliais à Mohammed Arkoun contre les thèses d'un autre grand esprit avec qui j'avais des liens d'amitié, le cardinal Lustiger. Aujourd'hui où les débats sur l'Islam ont de telles incidences politiques et même civilisationnelles, la pensée de Mohammed Arkoun devrait être fidèlement et audacieusement prolongée.

J.D.

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